Renforcer la relation médecin-patient pour réduire la prescription abusive d’antibiotiques
Les enjeux de la lutte contre la résistance aux antibiotiques en Europe et en Suisse
Selon les données de la Commission européenne et du Centre européen de contrôle et de prévention des maladies (ECDC), environ 35 000 décès par an en Europe sont attribuables à des infections bactériennes résistantes. Cette problématique est principalement liée à une utilisation excessive d’antibiotiques, qui favorise l’émergence de résistances et compromet l’efficacité des traitements lors d’infections graves. En Suisse, un audit réalisé au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), publié dans la Revue médicale suisse l’année dernière, révèle que dans 40 % des cas, les prescriptions d’antibiotiques pourraient bénéficier d’une meilleure appropriateness, notamment en raison de leur inutilité ou d’erreurs dans la posologie et la durée du traitement.
Une perception erronée des patients et la pression pour prescrire des antibiotiques
Une étude menée par l’Université de la Suisse italienne, publiée cette année, indique que lorsque les patients ont l’impression que leur médecin ne leur accorde pas une attention suffisante, ils ont tendance à davantage réclamer des antibiotiques, même lorsque cela n’est pas médicalement justifié. Ce phénomène soulève la question des motivations derrière la prescription d’antibiotiques par le corps médical.
Les causes principales de prescriptions inappropriées d’antibiotiques
Le rôle du temps limité en consultation et la pression du patient
Selon le Dr Philippe Eggimann, médecin et vice-président de la Fédération des médecins suisses, plusieurs facteurs expliquent cette tendance. Il évoque d’abord la crainte de ne pas manquer une infection sévère, comme la méningite, la septicémie ou la pneumonie bactérienne, qui peut avoir un taux de mortalité supérieur à 10 %, voire 25 % chez les personnes âgées. Par ailleurs, le manque de temps en consultation constitue un obstacle majeur. “Depuis près de 80 ans, l’utilisation des antibiotiques est devenue une pratique habituelle. Cependant, il est souvent plus facile et rapide de renouveler une prescription à la demande du patient que d’expliquer pourquoi une antibiotique n’est pas nécessaire. Les recommandations sont pourtant claires : il faut privilégier une utilisation rationnelle des antibiotiques pour préserver leur efficacité et protéger la santé publique.”
Les risques liés à la judiciarisation et à la relation médecin-patient
Le médecin souligne également que la judiciarisation accrue des prises en charge médicales agit comme un frein à une gestion sereine, car l’incertitude ou la peur de faire une erreur peuvent influencer la relation avec le patient. “Les patients parfois pressés ou convaincus de la nécessité d’un traitement antibiotique se tournent vers les services d’urgence, où la prescription est plus probable. Par ailleurs, la facilité à conserver des restes d’antibiotiques chez soi favorise l’automédication, ce qui peut avoir des conséquences néfastes.”
Ce contexte met en lumière la nécessité d’améliorer la communication entre médecins et patients pour encadrer l’utilisation des antibiotiques et limiter leur usage inapproprié, dans une optique de santé publique et de lutte contre la résistance bactérienne.
— Marie Tschumi, interview radiophonique, adaptation web : Myriam Semaani